Qui sont-elles ces trois ombres qui dérivent sur la banquise et dont on devine les silhouettes à moitié effacées sur ces pellicules retrouvées dans les glaces du pôle ? Mangées par la lumière, avec pour seul horizon une blancheur absolue, on y trouve à nouveau ce grand rêve d’élargir le monde qui poussa tant d’hommes et de femmes à partir vers des lieux au risque de n’en jamais revenir.
C’est en 1930, sur l’île Blanche au bout de l’archipel du Svalbard au Spitzberg, que furent retrouvés les corps et les restes du dernier campement de l’expédition Andrée disparue en 1897 alors qu’elle tentait de rejoindre le pôle Nord en ballon. Trois hommes, Salomon August Andrée, Knut Fraenkel, et Nils Strindberg le photographe de l’équipe, qui jusqu’au bout capta ces images spectrales exposées aujourd’hui au Gränna Museum en Suède, derniers témoignages d’une expédition trop peu préparée sans doute, portée par la ferveur patriotique de l’époque.
De ces photographies, l’écriture d’Hélène Gaudy opère comme un révélateur, c’est elle-même qui le dit. Et les images parlent, racontent la longue attente avant l’envol, les soubresauts de la nacelle secouée par les vents, la chute sur la banquise, ensuite la longue errance sur les glaces, durant trois mois, à la recherche d’une terre qui, une fois atteinte ne leur apportera que la solidité du sol, mais rien d’autre, jusqu’à la mort. C’est la lente histoire d’un effacement, traversée de celles d’autres rêveurs d’aventures, marquant que ces rêves n’ont de limites qu’humaines, mais qu’au-delà il en reste des traces, et nous en sommes les témoins. L’écriture a parlé.
Philippe Goffe
Hélène Gaudy : Un monde sans rivage, 315p, 2019, Actes Sud